Oliviero Toscani, ou l’image de Benetton

Dans l’univers de la publicité, certaines campagnes marquent l’histoire par leur audace, leur pouvoir de choquer, mais aussi par leur capacité à toucher le cœur des questions sociales. Vous vous souvenez sans doute des campagnes de Benetton.

Oliviero Toscani, photographe et directeur artistique italien, est indissociable de l’une des campagnes les plus iconiques et controversées du XXe siècle : les publicités pour la marque Benetton. Ces campagnes ont non seulement redéfini l’image de la marque, mais ont également lancé un débat sur le rôle de la publicité dans la société, en la transformant en un outil de réflexion sociale et politique.

Le début des campagnes en 1984

En 1984 j’ai 5 ans et Oliviero Toscani rejoint Benetton, une époque où la marque italienne, jusque-là connue pour ses pulls colorés et son approche jeune, cherche à se distinguer dans un marché très concurrentiel. Toscani, alors âgé de 42 ans, a l’idée de faire de Benetton bien plus qu’une simple marque de mode : il souhaite en faire un porte-voix de messages sociaux forts, capable de provoquer et de questionner les consommateurs. Il ne s’agit plus seulement de vendre des vêtements, mais de transformer la publicité en un terrain de débat.

L’un des éléments clés de ces campagnes est leur capacité à mélanger l’esthétique de la mode avec des thèmes sociaux graves, souvent traités de manière taboue dans la société. Toscani fait de la publicité un art engagé, utilisant l’image pour toucher des sujets de grande portée : la guerre, le racisme, la pauvreté, l’homophobie, le sida, la condition des femmes, etc. Son approche, à la fois choquante et bouleversante, fait de ces campagnes un véritable miroir de notre époque.

Début des annnées 90, le tournant choc

Les premières campagnes, lancées au début des années 1980, se caractérisent par un choix radical de visuels. Plutôt que de représenter des mannequins idéalisés dans des décors luxueux, Toscani préfère mettre en avant des images brutales et crues qui interpellent. Le choix de l’image, la composition, la simplicité du message sont utilisés comme des outils puissants pour dénoncer les injustices sociales.

L’une des campagnes les plus célèbres et controversées est celle du mariage interracial. Toscani choisit de photographier un couple d’ethnies différentes, une image à la fois belle et provocante, qui défie les préjugés raciaux. À travers ce choix visuel, il suggère que l’amour ne connaît aucune frontière, aucune distinction de couleur de peau.

Cependant, la campagne qui a définitivement marqué les esprits est celle du portrait d’un homme mourant du sida (1992). La photo, montrant un homme en fin de vie, hospitalisé et visible dans toute sa vulnérabilité, est un choc visuel, à une époque où le sida était encore largement tabou. Cette image a provoqué un véritable scandale, certains accusant Toscani de mauvais goût, d’autres louant son audace de traiter la question du sida de manière aussi directe.

Moi en 1992, j’ai 13 ans, je suis un pré-ado inquiet de cette période « SIDA » et suis grandement interpellé par cette affiche. Je ne comprends pas pourquoi utiliser ce genre de photos pour une marque de vêtement. Mais le fait est que le pari est gagné, puisque Benetton devient une des marques les plus en vogue et les plus avant-gardistes du moment.

Une vision sociale et politique

Les campagnes Benetton ne se limitent pas à choquer pour le plaisir. Leur objectif est de faire réfléchir. À travers ses photos, Toscani veut poser des questions sur la société. Pourquoi le sida est-il stigmatisé ? Pourquoi y a-t-il encore tant de racisme dans le monde ? Pourquoi la guerre fait-elle rage à travers le globe ? Pourquoi sommes-nous si indifférents à la souffrance des autres ?

En effet, Toscani voit la publicité comme un moyen de responsabiliser les individus et de leur faire prendre conscience des injustices qui les entourent. C’est dans cette optique qu’il a créé la célèbre image de « l’armoire de l’ONU » (1997), où des mannequins de toutes origines sont photographiés dans des poses identiques. Cette image faisait une allusion claire à l’idée d’unité et de diversité, tout en dénonçant les politiques migratoires de certains pays.

Un autre visuel fort est celui de l’enterrement d’un enfant mort lors du génocide au Rwanda (1994), où la photographie de l’enfant, accompagné de ses parents, a choqué le monde entier. L’objectif de Toscani était d’amener la guerre, souvent perçue comme lointaine, dans l’espace quotidien des consommateurs de la marque.

L’impact sur la marque Benetton

Les campagnes de Toscani ont radicalement transformé l’image de Benetton, propulsant la marque dans une sphère qui allait bien au-delà du prêt-à-porter. En associant les produits de la marque à des causes sociales, Toscani a permis à Benetton de se positionner comme une marque à forte dimension sociale, attirant des consommateurs qui se retrouvaient dans ses messages de tolérance et de diversité. En outre, cette stratégie a permis à Benetton de se démarquer des autres géants de la mode, généralement plus axés sur l’image de luxe et de perfection.

Cependant, cette approche n’a pas été sans controverse. Alors que certains saluaient le courage de Toscani et son utilisation de la publicité comme une forme d’art engagé, d’autres l’ont accusé de « manipuler les émotions » du public et d’exploiter des tragédies humaines à des fins commerciales. La tension entre l’art, la politique et le marketing a souvent été au cœur des débats entourant ces campagnes.

 

Ci-dessous, quelques visuels des années 90, dont la dernière est lourde sens…